Comment le besoin de lobbying de la Commission augmente lorsque son agenda politique s'allonge.
A la fin des années 1980 commence l’âge moderne de la construction européenne. La préparation de quelques trois cents directives, les projets d’union monétaire, créent un formidable appel d’air. L’industrie de l’influence se développe avec la création de cabinets de conseil qui occupent un créneau commercial laissé vacant par les fédérations professionnelles. Dans les années 1990, elle atteint une certaine maturité, lors d’une phase de concentration initiée par les grands réseaux de conseil et de communication.
Émerge alors ce que l’on nommera bientôt le lobbying du Big Business défini par un critère de taille plus que de nationalité. Contrairement à ce que pourrait laisser croire la rhétorique des patrons de l’ERT, qui ne cessent d’agiter la menace de la concurrence américaine, les intérêts des grands groupes européens et américains convergent plus souvent qu’ils ne s’opposent. Comme l’écrivent John Peterson et Marie Green Cowles dans leur analyse des ressorts de l’influence des multinationales américaines à Bruxelles, « l’énorme volume de ces investissements [ceux des entreprises américaines en Europe] rendait difficile la distinction entre les intérêts économiques « européens » et « américains » dans l’Union européenne »[1].
L’intense activité législative des années Delors accroît le besoin d’expertise de la Commission dont les moyens progressent, certes, mais lentement par rapport à ses besoins. Son exposition et sa sensibilité au travail d’advocacy et de lobbying des groupes d’intérêt installés dans la capitale s’en trouve accrue. Dans un document publié en 1997 par le cabinet Burson Marsteller, on peut lire cette citation extraite d’un entretien avec un fonctionnaire. « Nous sommes terriblement ‘sous-staffés’ et ‘sur-stressés’. Ma division est en charge de 44 directives et de 89 règlements ; le nombre de courriers mensuels qui requierent une réponse substantielle s’élève à 350. Et j’ai à peu près 9 collaborateurs pour faire le travail. L’administration correspondante aux États-Unis compte 600 personnes ». Besoin d’expertise, donc, mais aussi tout simplement d’orientation politique. Sonia Mazey et Jeremy Richardson, deux universitaires spécialistes du lobbying européen et des processus de décision communautaires, soulignent la formidable perméabilité de l’administration européenne aux influences. « Au commencement », écrivent-ils, « est un fonctionnaire très seul avec une feuille de papier blanc devant lui, se demandant ce qu’il va mettre dessus. Le lobbying à un stade très précoce décuple les possibilités d’agir sur la manière d’aborder un sujet et, en définitive, sur la politique elle-même. Celui qui élabore le projet est en général demandeur d’idées et d’information. Ainsi un lobbyiste qui est reconnu comme digne de confiance et fournisseur de bonne information peut avoir un impact important à ce stade… Une fois que la Commission a approuvé une proposition et l’a envoyée au Conseil et au Parlement, la possibilité de modifier la proposition existe seulement à la marge[2]. » Comme l’explique bien le patron de l’EPC, « le processus de décision européen ne dépend pas des débats politiques nationaux comme en France ou en Allemagne ou même à Washington. Il y a là un vacuum à remplir. C’est notre fonction. »
Fin du feuilleton lobbying demain avec la "méta-influence", l'influence sur l'influence
[1] “Clinton, Europe and Economic Diplomacy, What makes the EU Different ?”, Governance, Oxford, 1998/7 vol 11 n°3, p. 251.
[2] Sonia Mazey, Jeremy Richardson (ed.), Lobbying in the European Community, Oxford, Oxford University Press, 1993, p. 83.
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