Ce matin, Bo Vesterdorf, juge européen danois et président de la Grande Chambre qui avait la lourde tâche d'instruire le recours de Microsoft contre la Commission européenne, a présenté d'un air mi-bonasse mi-excédé un arrêt qui fera date dans le droit européen de la concurrence. Il a donné raison à 95% à la Commission européenne contre le géant américain.
Les juristes, économistes et managers commencent à peine à tirer le conclusions de cette décision de justice. Mais il en est une, plus politique, qu'ils omettront peut-être.
Cet arrêt crée un précédent unique au monde, car jamais Microsoft n'a été condamné aussi clairement en justice pour avoir chercher sciemment et en dépit des règles du fair play économique établies depuis plus d'un siècle (au fondement du droit de la concurrence il y a le Sherman Act) à éliminer la concurrence, exploiter une rente aux dépends des consommateurs et finalement les avoir privé des bénéfices économiques que leur aurait offert une concurrence plus juste.
L'Europe affirme ainsi sa prééminence, notamment sur les Etats-Unis où Microsoft a joui d'un traitement, sinon de faveur, au moins propre à lui épargner une condamnation, sous l'administration Bush. En octobre, la Cour Suprême de Corée (du Sud bien sûr) doit rendre un arrêt dans une affaire comparable. Il est probable qu'elle suive l'exemple européen (comme elle le fit dans l'instance précédente suite à la décision européenne de 2004). Bientôt peut-être, le Département de la Justice américain pourrait avoir à remettre l'ouvrage sur le métier tant le règlement amiable obtenu en 2003 par Microsoft aux Etats-Unis ne satisfait ni le reste de l'industrie, ni les autorités publiques. Il serait intéressant de voir dans quelle mesure la décision européenne pourrait créer un précédent, y compris aux Etats-Unis.
En résumé, cet instrument de régulation puissant qu'est la politique de la concurrence européenne confirme qu'il est l'un des moyens par lesquels l'Europe déploie sa puissance dans le monde. Le libéralisme de l'Union européenne, qu'incarne mieux qu'aucune autre sa politique de la concurrence, est un vecteur de puissance. Cette même politique de la concurrence que le président Sarkozy villipende une semaine sur deux et dont il ne cesse de dire qu'elle doit être subordonnée aux objectifs poursuivis par l'Union européenne.
Le jugement de ce matin dit l'ineptie d'un certain discours français qui voudrait que le libéralisme européen et notamment sa politique de la concurrence soit une alternative à l'Europe puissance telle que la France prétend en défendre le projet.
Il manifeste, outre la victoire de la Commission européenne contre Microsoft, celle d'une longue culture juridique européenne ( ou euro-américaine) adossée à un système institutionnel vertueux contre les péroraisons égotiques de Paris où l'on préfère le dogmatisme à deux sous d'un conseiller dépassé à l'épreuve des faits. L'arrêt de ce matin nous dit, en définitive, Microsoft, l'Elysée, même combat, n'en déplaise aux pseudo-théoriciens d'une autre Europe.
En effet, bel instrument de régulation que cette politique de concurrence...
Cependant, il ne faut pas oublier que Neelie Kroes a figuré par le passé sur le board de l'entreprise américaine d'armement, Lockheed Martin, que l'Etat américain n'hésite pas à "appuyer". A partir de là, même s'il faut se garder de tout excès de paranoïa, il faut espérer que toutes ses décisions sont impartiales...
Rédigé par : Fred | 30 novembre 2007 à 17:20