Voici le premier de 4 courts extraits du chapitre consacré à Microsoft et à l'attitude de la Commission européenne, l'une des autorités de contrôle de la concurrence les plus puissantes au monde, face aux "trusts" d'un genre nouveau nés des nouvelles technologies. Ou comment Bruxelles et Washinton convergent imperceptiblement en dépit de la croisade contre Microsoft.
Le match qui se joue depuis 1998 entre Bruxelles et le champion mondial de l’édition de logiciels Microsoft fascine. Voilà, avec le lancement de l’euro en 2002, le dossier le plus médiatisé de toute l’histoire de l’Union européenne. Le « cas » Microsoft a pris au fil des années une dimension épique. En comparaison, la fameuse « directive services » qui contribua en 2005 au rejet du traité constitutionnel semble anecdotique. Pourtant, s’il n’est pas totalement banal, il n’en suit pas moins les canons des affaires de concurrence communautaire. Pourquoi, alors, une telle passion ? Se laissant aller à leur penchant naturel à la simplification, les media ont opté pour un traitement dramatique un brin caricatural de l’affaire. Elle fut présentée comme le paroxysme d’un duel transatlantique doublé d’une lutte entre les tenants d’un ordre économique juste et coopératif (les Européens) et ceux d’un libéralisme forcené (les Américains).
Rappelons les circonstances dans lesquelles est intervenue la décision de mars 2004. A l’époque, l’actualité est dominée par la crise irakienne. Depuis 2003, Washington est vent debout contre la « Vieille Europe » rétive à s’engager dans la « guerre contre le terrorisme » déclarée par George W. Bush après les attentats du 11 septembre 2001. La France et l’Allemagne ont refusé de rejoindre la coalition appelée à renverser Saddam Hussein. Dans ce contexte, la condamnation de Microsoft devient une nouvelle manifestation de défiance et d’ingratitude à l’égard des États-Unis. « Les Européens pourraient voir Microsoft – un puissant Béhémoth emmené par un patron autoritaire – comme une métaphore de l’Amérique de George W. Bush », peut-on lire dans le Herald Tribune du 26 mars 2003[1]. De même que la stratégie de défense américaine vise à « dissuader une concurrence militaire future », celle de Microsoft consiste à anéantir la concurrence, explique l’éditorialiste du quotidien new-yorkais[2]. En somme, contre l’unilatéralisme et la domination des États-Unis, Chirac, Monti, même combat. Un éditorialiste des Échos met en garde le groupe américain : « en élaborant sa réaction à la réglementation européenne, Microsoft devrait s’inquiéter de savoir si son programme Windows passera pour une simple réincarnation du penchant américain croissant pour l’unilatéralisme et la puissance brutale »[3].
Dans le contexte marqué, en Europe, par la montée de l’anti-américanisme, il était tentant de renvoyer le cas « Commission contre Microsoft » à l’affrontement entre une Amérique impériale et libérale et une Europe résistant encore et toujours à la mondialisation. Mais Bruxelles n’est pas le village d’Astérix. Mario Monti n’a pas plus à voir avec le chef gaulois Abraracourcix que Steve Ballmer, l’énergique patron de Microsoft, avec celui d’une légion romaine. Quant au successeur de Mario Monti à la tête des services de la concurrence, Neelie Kroes, elle fut vertement chahutée par les députés européens de gauche lors de son investiture à l’automne 2004, parce qu’elle siégeait alors encore dans les instances de direction de plusieurs groupes internationaux. Malgré son passé, et sans doute également son avenir, de « business woman », Neelie Kroes n’en tient pas moins tête à Microsoft dont elle est devenue en deux ans la nouvelle bête noire.
Demain lisez dans "trois niveaux de lecture" comment cette affaire souligne la concurrence transatlantique pour la régulation de l'économie
[1] “Europe vs. America’s operating system”, Grant R. Mainland, Kennedy School of Management, Harvard University, Herald Tribune, 26 mars 2004.
[2] op.cit., formule extraite du National Security Strategy.
[3] Chronique de Stephan Richter (Washington), “Microsoft et la doctrine de préemption”, Les Échos, 14 avril 2004.
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