Deux ans plus tard, en 1985, Wille Dekker, le président de l’ERT et du groupe d’électroménager et de télécommunication Philips, présente à Bruxelles un programme intitulé « Europe 90 ». La Commission européenne doit, selon lui, entreprendre d’abaisser en cinq ans les obstacles aux échanges. Trois jours plus tard à Strasbourg, Jacques Delors fait part aux députés européens de son programme de travail. On y retrouve la même idée d’un programme législatif visant à faciliter les échanges internes dans la Communauté, la même idée également d’une date butoir pour atteindre l’objectif. Mais Delors se donne un peu plus de temps que ne le suggérait l’ERT. L’échéance fixée est 1992. Ce sera l’Acte unique.
L’articulation entre ces deux programmes porte un nom : Lord Cockfield. Le Commissaire européen en charge de l’industrie, envoyé par Margaret Thatcher à Bruxelles pour s’assurer que, surtout, rien ne s’y passe, fut le véritable artisan du Marché unique. Pour cela, il aura travaillé main dans la main avec l’ERT.
Selon l’historien John Gillingham, le débat n’a cessé de faire rage depuis sur le point de savoir qui avait réellement été l’auteur du projet de l’Acte Unique, le traité de 1987 pour lequel Jacques Delors manifeste dans ses mémoires sa préférence par rapport à tous les autres traités (Rome, Maastricht, Amsterdam, Nice) qui ont jalonné la construction européenne. Le Commissaire européen Lord Cockfield, qui avait été chargé de le préparer, « ne voulait pas que l’on suppose qu’il était le nègre de Dekker ou qu’il avait mis en œuvre son programme », écrit-il. Cockfield jugeait le travail de Dekker « parcellaire, partial et avec un échéancier trop court », selon Gillingham. Mais selon l’historien américain, le document ‘Europe 90’ « ressemblait étroitement » au Livre Blanc sur l’achèvement du marché intérieur. Cet avis est partagé par l’historien italien Bino Olivi, pour lequel « le plan de Dekker, très structuré, faisait preuve d’une abondance de détails ». « Le «programme 90», écrit-il, préfigurait, en quelque sorte, le prochain Livre blanc de la Commission en mettant un accent particulier sur les secteurs qui présentaient un intérêt majeur pour l’industrie. Un marché commun « véritablement homogène » devait être réalisé dans les cinq ans. Pour ce faire, la Communauté devait reconnaître quatre priorités, à savoir la libéralisation des échanges commerciaux, l’harmonisation fiscale, la standardisation des normes techniques européennes et l’ouverture des marchés publics avec une attention particulière pour l’informatique. La proposition ne négligeait aucun aspect politique de l’initiative, tels que la nécessité d’introduire le vote à la majorité et d’amorcer l’union monétaire[1]. »
L’agenda politique européen des années 1980 et 1990 naît de la rencontre entre des intérêts économiques sachant recourir aux techniques des PA et le désir de la Commission européenne d’étoffer son pouvoir. Après le marché unique arrive la série de directives de libéralisation des services en réseau : télécommunications, électricité, gaz, transport ferroviaire, mais aussi le transport aérien. Avec quinze ans de décalage, Bruxelles importe en Europe la politique initiée dans les années 1970 par Jimmy Carter aux États-Unis (elle commencera par la libéralisation du transport aérien), poursuivie par le président Ronald Reagan, et déjà mise en œuvre par Margaret Thatcher.
Rendez vous demain avec "Linton raconte Sutherland" pour savoir comment la libéralisation des services publics fut "inventée".
[1] Bino Olivi, L’Europe difficile, Paris, Gallimard, 1998 et « Folio histoire », 2001.
Jacques Delors a affirmé dans le journal le Monde du 06 Septembre 1987 qu'"aucun retard n'est jamais définitif, l'information est la clé de l'élaboration des stratégies"
Tout en l'expliquant, commentez cette affirmation en donnant des exemples plausibles.
Rédigé par : atsame ada christian | 20 janvier 2009 à 16:52