Dans cette affaire, le Conseil de l’Europe a joué son rôle de vigie avec pour principale vocation de veiller au respect de la Convention européenne des droits de l’homme[1]. La position de l’Union européenne, elle, était plus délicate. Le Parlement, n’étant pas non plus un pouvoir exécutif, dispose d’une liberté de parole plus grande que, par exemple, les ministres européens ou la Commission. Il a créé une sorte de commission d’enquête, comme il l’avait fait dans le passé lorsque le journaliste écossais Duncan Campbell avait révélé l’existence du système Echelon. Ce système d’écoute mondial, qui contribue grandement à la supériorité américaine en matière de renseignement, repose sur une alliance entre les États-Unis et un certain nombre de pays liés à eux par une coopération plus ou moins forte, comme la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni ou l’Allemagne, lesquels abritent certaines de ses installations. Mais comme Gerhard Schmid, le rapporteur de la commission parlementaire sur Echelon[2], le député italien Giovanni Fava dispose de moyens d’enquête limités. Il ne peut en particulier obliger personne à venir témoigner, ni même se faire communiquer des documents sans l’accord de leur détenteur. Aussi, son premier rapport ne va-t-il guère au-delà de celui du Conseil de l’Europe[3]. Mais il a certainement plus d’impact sur les autres institutions de l’Union européenne, qui elles-mêmes disposent d’une certaine autorité dans les relations transatlantiques.
Jusqu’à présent, l’organe exécutif de l’Union européenne, la Commission européenne, a réagi plutôt mollement. Franco Frattini, notons-le au passage, était ministre des affaires étrangères du gouvernement Berlusconi au moment de l’enlèvement d’Abou Omar. Il a démenti avoir été informé de la participation des services de son pays au programme d’enlèvement de la CIA. Le ministre des Affaires étrangères ne chapeaute effectivement aucun service de renseignement. Lorsque les révélations du New-York Times ont commencé à être prise au sérieux, Frattini, qui était déjà commissaire, a menacé les pays qui avaient participé au programme de la CIA de se voir priver de leurs « droits de vote au Conseil » ! Un message politique fort mais qui ne s’appuyait sur aucune base juridique. La Commission, si toutefois elle en avait la volonté, n’a en effet pas le pouvoir d’infliger une telle sanction à un État membre. Un autre problème est que l’Italie aurait alors fait partie des pays sanctionnés. Depuis, l’exécutif européen se contente de prendre acte des travaux du Parlement. Il faut dire que l’Union européenne n’a aucune responsabilité dans l’implication des pays européens au programme de la CIA. L’affaire des prisons secrètes renvoie une nouvelle fois à l’inégale relation que chaque pays européen entretient avec son allié et protecteur, et aux risques de corruption de ses valeurs que cela lui fait courir.
Le malaise créé par les révélations des activités de la CIA en Europe n’est pas prêt de se dissiper. Le 20 novembre 2006, alors que la commission Fava poursuivait ses travaux, le président du Conseil italien et ancien président de la Commission européenne Romano Prodi a décidé de décapiter ses propres services de renseignement. Du jour au lendemain, il a remercié leurs trois principaux dirigeants, dont le général Nicolo Pollari[4], chef du SISMI, et son homologue du SISDE, le service de renseignement intérieur (la DST italienne) Mario Mori. En Allemagne une enquête parlementaire est en cours. Au Royaume-Uni, ce sont les juges qui officient. Au États-Unis et au Canada, des associations de défense des libertés ont lancé une guérilla judiciaire contre le programme de restitutions. Mais que peuvent dire les dirigeants français, allemands, britanniques, espagnols ou italiens, d’une politique qui témoigne que les liens qui unissent chacun de leurs services de renseignement aux services américains sont plus forts que ceux qui les unissent entre eux ?
[1] Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950. On en retrouve beaucoup de principes dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée le 7 décembre 2000, annexée au Traité de Nice, et qui était intégrée dans le traité constitutionnel dont la ratification a été interrompue suite aux référendums français et néerlandais de 2005.
[2] Voir le rapport final de la Commission temporaire sur le système mondial d’interception des communications privées et économiques (système d’interception Echelon) du 11 juillet 2001, A5-0264/2001.
[3] Projet de rapport intérimaire, op. cit.
[4] Nicolo Pollari s’est vu officiellement confié un « poste spécial » auprès du Président du Conseil. Cf. Financial Times, 21 novembre 2006.
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