Mais comme le montre le rapport Marty et l’enquête menée en Italie, l’Europe a bien eu une part dans le programme d’enlèvement et de détention illégale. Des gouvernements et des services de renseignement européens ont bien participé à ce « système dégradant ». Cela pose deux questions : pouvaient-ils ne pas le faire ? et voulaient-ils ne pas le faire ? Il est difficile de répondre à la première. La domination militaire des États-Unis, leurs moyens de renseignement considérable, la tutelle qu’ils exercent à travers l’Otan sur la défense européenne, sont autant de moyens de faire pression sur les gouvernements. Dans le rapport Marty, la France n’est pas citée. Aucun des points de la « toile d’araignée » qu’il décrit n’est situé en France. Mais est-on sûr qu’elle n’a eu aucune part dans ce système ? On bute ici sur les limites posées par le secret à l’investigation et, peut-être aussi, sur un certain manque de curiosité. La deuxième question renvoie au banal conflit entre les intérêts des services de sécurité et de renseignement d’un côté et le pouvoir « civil », d’autre part, les premiers devant rester subordonnés aux seconds et ne pas leur servir d’alibi. Cette tension traverse tout autant le corps politique américain qu’européen. De retour de Washington, Giovanni Fava, le député européen italien qui pilote l’enquête du Parlement européen sur ces détentions illégales, relevait dans son rapport : « l’impression que nous avons eue […] en particulier à la suite de la rencontre avec John Bellinger, chef des conseillers juridiques du Département d’État[1] – est que l’administration Bush, dans sa lutte contre Al Qaida, revendique ouvertement une « liberté d’action », y compris à l’égard du droit international reconnu et de certaines conventions internationales… Nos impressions ont été confirmées par les rencontres avec des membres du Congrès, aussi bien des démocrates comme Ed Markey (auteur d’un projet de loi visant à interdire les restitutions) que des républicains comme Arlen Specter (président de la commission de contrôle du renseignement du Sénat), qui sont tous vivement préoccupés par les conséquences des politiques de l’administration Bush sur le plan des droits de l’homme »[2].
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