Ce matin le vice-président de la Commission européenne Günther Verheugen (photo) présentait avec fierté devant les députés européens de la délégation Europe-Etats-Unis les premiers résultats de son travail de co-président du Transatlantic Economic Council (TEC). Qu'est-ce que le TEC? Pour l'instant ce n'est encore qu'un simple binome formé de M. Verheugen et de Alan Hubbard, conseiller économique du président George W. Bush. A l'avenir devraient également en faire partie une poignée d'autres commissaires européens et membres du gouvernement Bush, ainsi que quelques dirigeants de grandes entreprises. Sa raison d'être est de passer au crible le fatras de réglementations qui gênent le commerce et les investissements transatlantiques, puis d'aller, ici devant le Parlement, là-bas devant le Congrès et les agences compétentes, pour obtenir les changements réglementaires nécessaires. Une sinécure!
"We are fully committed to deliver results already in the short run", a lancé jeudi plein d'enthousiasme M. Verheugen. Gare toutefois à la précipitation, ne manqueront pas de lui répondre les députés, qui entendent bien ne pas se laisser départir de leurs pouvoirs de législateurs sous prétexte de convergence transatlantique.
Les négociations transatlantiques déjà en cours - il n'en manque pas - invitent en effet à agir avec prudence et fermeté. Dernier exemple en date : l'accord sur la communications des données sur les virements interbancaires stockées par le système SWIFT annoncé le 28 juin. Il y a un an le New York Times révélait que le département du Trésor américain "pompait" les données de SWIFT dans le cadre d'un programme de surveillance des canaux de financement du terrorisme... sans que les banques concernées ou à tout le moins leurs clients n'en sachent rien! Et ce depuis au bas mot 5 ans, c'est-à-dire depuis le lancement du "Terrorist Financing Tracking Program" au lendemain des attentats du 11 septembre 2001.
Le problème, lorsqu'on découvrit le pot-aux-roses, était que 1) Washington n'avait aucune intention de revoir à la baisse son entreprise de collecte d'informations sur les données bancaires et 2) les Européens, Parlement en tête, concevaient quelque agacement à se voir mis à nus. Tout était en place pour un drame transatlantique de premier choix avec extraterritorialité de la loi américaine, divergences de vue entre Bruxelles et Washington sur la privauté des données, secret bancaire et soupçons d'espionnage économique au menu, tout cela sur fond de guerre contre le terrorisme.
Et voilà qu'il y a une semaine Franco Frattini, également vice-président, de la Commission européenne, annonçait avoir réglé ce délicat dossier comme par miracle, au moyen d'un subterfuge juridique. Le transfert des données Swift vers les Etats-Unis, puisqu'il avait lieu d'une branche de SWIFT à une autre branche de SWIFT, serait considéré à l'avenir de caractère commercial. Il pourrait donc avoir lieu dans le cadre de l'accord dit de "safe harbor" qui permet, en résumé, aux organisations opérant des deux côtés de l'Atlantique, de se placer sous la loi et la juridiction américaines, y compris lorsqu'elles collectent, stockent et utilisent des données informatiques européennes. Cela évidemment en dépit du fait que les données sont explicitement destinées à être traitées par les autorités publiques américaines à des fins de sécurité nationale. Magnanimes, les Etats-Unis s'engagent à utiliser ces données de façon "proportionnée" à l'objectif de leur collecte. Mais là encore, Européens et Américains sont-ils d'accord sur la juste proportion que doit prendre ou garder une politique de lutte contre le terrorisme (cf. Irak) ?
Autant dire que cet accord n'était pas du goût de tout le monde et notamment pas de Pervenche Bérès et Jean-Marie Cavada (photo), qui président respectivement la Commission des affaires économiques et monétaires et la Commission des libertés publiques au Parlement européen. A peine ont-ils eu vent de cette brillante astuce juridique qu'ils ont écrit à M. Frattini pour lui demander un entretien.
"Etant donné la sensibilité du sujet et l'impact que les mesures prises pourraient avoir sur la société SWIFT ainsi que sur celle des établissements financiers et, surtout des citoyens européens qui n'ont toujours pas été correctement informés du traitement de leurs données personnelles, nous considérons qu'une association du Parlement à l'évaluation de la situation est indispensable", lui écrivent-ils.
D'ailleurs, le jour même où M. Frattini faisait connaître aux Vingt-Sept Etats membres de l'Union, la solution apportée au dossier SWIFT, les ministres des Vingt-Sept retoquaient l'offre qu'il leur faisait sur un autre dossier, assez similaire sur le fond et tout aussi épineux, celui de la communication des données concernant cette fois-ci les passagers des vols transatlantiques aux services de renseignement américains.
En attendant de connaître la réponse que fera le Vice-président Frattini à Mme Bérès et M. Cavada, il est déjà possible de tirer de cette affaire une petite morale :
1) Mieux vaut une négociation longue, voire laborieuse et un accord valable, qu'un accord rapide mais déséquilibré.
2) Les règles et autres normes sont parfois absurdes mais il arrive aussi qu'elles aient une raison d'être, par exemple la protection des données, et que les raisons qui ont amené un parlement à les adopter justifient la gêne qu'elles représentent pour les échanges et les investissements. Sans compter qu'il y va à la fois de la souveraineté et de la démocratie que les lois appliquées sur un territoire émanent des institutions et des dirigeants politiques que se sont choisis les habitants de ce territoire.
Lorsque J.M. Barroso lui a proposé le job de coprésident du TEC, Günther Verheugen ne s'est pas fait prier. Si le TEC n'est certes pas le premier comité Théodole à s'occuper de questions transatlantiques, ce n'est pas non plus n'importe lequel. Les signatures de George W. Bush, de la chancelière Angela Merkel et du président de la Commission José Manuel Barroso figurent en bas de l'accord noué le 30 avril dernier qui en porte création. M. Verheugen, qui a traversé une passe difficile cet hiver lorsque la presse allemande a révélé qu'il avait fait nommer sa maîtresse, juriste émérite au demeurant, chef de son cabinet, semble décidé à relever le défi avec zèle. L'affaire Swift et celle des données sur les passagers des vols transatlantiques devraient le conforter dans le sentiment de l'importance et de la difficulté de sa tâche.
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