Spectacle sans précédent hier au Parlement européen. A la tribune de la salle plénière, côte à côte, Franco Frattini, vice-président de la Commission européenne en charge de la liberté, de la sécurité et de la justice, à sa gauche Wolfgang Schäuble, le ministre de l’intérieur de la grande coalition emmené par la chancelière Angela Merkel, puis Philip Bradbourn, le vice-président de la Commission des libertés publiques du Parlement européen, puis Michael Chertoff, le ministre de la sécurité intérieure des Etats-Unis, et son ambassadeur auprès de l’Union européenne, Boyden Grey.
Autant d’inconnus ou de quasi-inconnus aux yeux du grand public européen. Et pourtant, Bruxelles réunissait hier les hommes qui ont entre leurs mains l’avenir de la politique de sécurité et la protection des libertés publiques en Europe et aux Etats-Unis. La venue de Chertoff est emblématique d'un glissement des relations transatlantiques. Il y a quelques années, il était inimaginable qu’un responsable américain de ce niveau vienne répondre aux questions des Européens.
Qu’on ne s’y trompe pas, la manière de lutter contre le terrorisme n’est pas la même aux Etats-Unis et en Europe. Cette audition exceptionnelle (sans précédent, on ne le dira jamais assez) a souligné de profondes divergences de vue. Le problème est que chaque décision prise par les autorités de l’une ou l’autre a des conséquences de l’autre côté de l’Atlantique. Chertoff était venu demander aux Européens de faciliter l’accès des services américains aux informations concernant les passagers des vols transatlantiques stockées par les compagnies aériennes. Actuellement, une partie de ces données leur sont communiquées mais dans le cadre d’un accord temporaire qui doit être renégocié d’ici juillet et qui, estime le parlement européen, viole le droit de la protection de la vie privée européen. Non seulement, Washington veut poursuivre le transfert mais souhaite également lui donner plus de souplesse.
Les Européens sont sceptiques sur l’efficacité d’un tel fichage des passagers et la pertinence des recoupements que les services sont en mesure de faire entre leurs bases afin d’arrêter les terroristes potentiels. Chertoff était venu administrer la preuve de l’utilité de la communication des données PNR. Muni de simples exemples et non de données statistiques et précises, il n’a pas convaincu.
Mais peu importe. Là n’était pas l’intérêt premier de cette audition. Chertoff a présenté la position d’un pays en guerre. Et ceux auxquels il s’adressait ne se concevaient clairement pas comme tel. Même pratiquement tous les pays européens sont peu ou prou engagées militairement dans la lutte contre le terrorisme en Irak ou en Afghanistan via l’OTAN.
Ce qui frappait hier c’est l’assymétrie entre la position américaine et la position européenne, assise sur le respect des droits individuels mais terriblement floue au plan stratégique. On aurait donné cher pour entendre les propos échangés par Chertoff et son ambassadeur aux alentours de 16 heures, lorsqu’ils ont quitté le Parlement.
On ne saurait finir sans dire un mot sur le retour annoncé de la France en Europe. Le président de la Commission des libertés publiques, le centriste Jean-Marie Cavada, était absent lors de cette réunion (le vice-président britannique Bradbourn) s’acquitta fort bien de la tâche). On n’a pas vu non plus Martine Roure, député socialiste française pourtant chargée d’un rapport sur la protection des données personnelles par les services de sécurité. Mais pas d’inquiétude car c’est certain : « la France est de retour en Europe ».
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