La suite de l'audition du procureur de Milan devant le Parlement européen à la fin de l'année dernière.
« Nous avons mis sur écoute Mancini, Pellinini [collaborateur du SISMI] et le général Pignero », supérieur hiérarchique de Mancini, décédé depuis. Au même moment, Pignero a demandé à être entendu par les procureurs. « Pour la première fois, un général confirmait que Jeff Castelli avait fait une demande d’aide dans l’enquête sur l’imam », explique le procureur.
Les écoutes commencent à porter leurs fruits. « Le 1er juin, sur un enregistrement téléphonique, le Général Pignero s’entretient avec Mancini. Il lui dit qu’il a parlé au ministère public. Mancini est gêné que le ministère public puisse identifier des personnes, des carabinieri, qui ont fait des contrôles dans la perspective de l’enlèvement ». « Pignero », raconte-t-il, « confirme qu’il a bien donné l’ordre » aux carabinieri. Mancini et lui « se mettent d’accord pour se rencontrer à Rome pour parler de la version définitive à donner aux autorités judiciaires ». Le 2 juin, les deux se voient et parlent longuement. Le 15 juin, le procureur lance un nouvel avis de capture visant Jeff Castelli et trois autres agents de la CIA, Pignero, qui est déjà malade, et Mancini. Mancini déclare avoir obéi au directeur du SISMI, le général Pollari . « Il admet qu’il a organisé une réunion à Bologne avec tous les chefs du SISMI du Nord de l’Italie pour étudier les habitudes de l’imam dans la perspective d’un enlèvement ». Il raconte que plus tard Pollari, « l’avait convoqué et qu’il avait été reçu au moment où le chef de la CIA en Italie sortait de son bureau ». Il aurait alors reçu une liste de noms, sur laquelle figurait celui d’Abou Omar, dans la perspective d’un enlèvement. Les contacts entre le SISMI et la CIA font partie de la routine entre services de renseignement de pays alliés. Ce qui l’est moins, c’est évidemment la demande de participer au programme d’enlèvement des suspects de terrorisme. Le procureur italien a établi dans les jours qui ont suivi les attentats du 11 septembre, le directeur du SISMI, qui est alors le Général Battalia, a reçu la visite de Castelli. C’est alors que le patron de la CIA en Italie lui demande si son service est disposé à participer à des enlèvements. Battalia doit quitter ses fonctions mi-octobre. Il ne répond pas et repasse le bébé à son successeur, Nicolo Pollari.
Armando Spataro vérifie auprès des patrons régionaux du SISMI la tenue de la réunion de Bologne. «
Tous ont confirmé que la réunion… avait bien eu lieu et qu’il y avait été question d’un enlèvement. Deux fonctionnaires confirment qu’il ont fait des contrôles dans la zone de la maison et de la mosquée » de l’imam, ajoute Spataro. Devant lui, Mancini affirme qu’il est contre la participation à un enlèvement et lui déclare : « nous ne sommes pas en Amérique du Sud, mais, quand même, on a fait des contrôles ». Pour Spataro visiblement, le démenti de Mancini sonne comme un aveu.
Il n’en est pas un coup de bluff prêt. Pour se protéger le SISMI a fait courir le bruit que l’enlèvement était en fait un simulacre, qu’Abou Omar était complice, et qu’il serait monté dans le fourgon où l’attendait les agents de la CIA sans résistance. L’imam aurait été recruté par les services américains. A l’appui de cette thèse un document disant qu’exceptionnellement ce jour-là, l’imam était sorti de chez lui avec l’original de ses papiers d’identité et non pas avec des copies comme il en avait l’habitude. Armando Spataro n’en croit pas un mot. « Ce document [montrant qu’il avait bien ses papiers originaux le jour de l’enlèvement] a été établi par le SISMI », dit-il, « il n’y a aucune preuve qu’il avait l’habitude de sortir sans ses papiers ». « Ce n’est pas une mise en scène. Abou Omar n’a simplement pas eu le temps de résister » au moment de monter dans la camionnette, conclut Spataro. Lors d’une conversation avec sa femme, l’imam lui aurait dit que les autorités égyptiennes lui avait proposé de travailler pour eux s’il acceptait de collaborer.
Le procès des trente-cinq personnes mises
en examen dans cette affaire ne commencera pas avant 2007. Jusqu’où la lumière pourra-t-elle être faite ? Tout dépendra de ce que voudront bien raconter les accusés. Lors des interrogatoires, le général Pollari a opposé le secret d’État à la justice. Or le secret d’État relève d’une décision du chef de l’exécutif. Il a été imposé par Berlusconi… et confirmé par Romano Prodi, l’ancien président de la Commission européenne et leader de la coalition de centre-gauche qui a remporté les élections en 2005. Mais rien n’oblige les accusés, selon Spataro, à se réfugier derrière le secret d’État qui « peut être violé lorsqu’on exerce son droit à la défense que rien ne peut limiter ». Et d’ajouter : « le secret d’État concerne une information, pas un fait et n’équivaut pas à une immunité ».
En 2006, trois ans après l’enlèvement, une Cour milanaise a condamné à dix ans de prison des personnes convaincues de terrorisme qui appartenait au même groupe qu’Abou Omar. « L’enlèvement [de ce dernier] a gêné les enquêtes », estime Armando Spataro. S’il était resté en Italie, « Abou Omar aurait été traîné devant une cour italienne et condamné. Il serait détenu légalement et non illégalement » au terme d’un procès équitable.
Commentaires